« La science propose, la société dispose. » Telle était l’idée classique. A l’interface on trouvait d’un côté les experts, issus des milieux scientifiques qui résumaient, simplifiaient et limitaient l’étendue des savoirs ; de l’autre les politiques capables, on le supposait, d’être les porteurs des valeurs et des attentes de la « société ». Il ne reste plus grand chose de ce modèle par percolation. Ni l’autorité scientifique, ni celle des experts, ni celle, bien sûr, des politiques, ne permettent d’aligner ainsi les savoirs depuis les plus spécialisés jusqu’aux plus partagés. Les controverses font rage en chaque point de cette ancienne ligne obligeant ainsi à retravailler tous les termes.
Cette situation d’incertitude épistémique et aléatoire, désormais partagée, et de controverses portant sur tous les points (doute sur la représentativité des militants, sur l’indépendance des experts, sur la validité des programmes de recherche des scientifiques, sur les intentions des gouvernants, sur la qualité des médias, etc.) oblige à une tout autre approche que nous voudrions tester grâce à la combinaison des sociologues, des politistes et des spécialistes des médias en collaboration avec les laboratoires en charge de la surveillance des risques dits « naturels ». En effet, la prévision des catastrophes naturelles concentre à peu près tous les savoirs (depuis les plus fondamentaux jusqu’aux plus administratifs en passant par les ethnosciences), alors que l’analyse des effets qu’ils ont les uns sur les autres ne peut pas faire appel à la clôture habituelle des controverses du fait de l’importance des médias et de l’ampleur des conséquences de chaque décision. La collaboration originale que nous voulons initier a pour but de suivre cette situation de controverse en évitant la distinction entre savoir assuré d’un côté et déformation médiatique ou administrative de l’autre.
Équipe
T. Ribémont (sciences politiques, Paris 13– co-pilote), É. Kaminski (dynamique des fluides, IPGP – co-pilote), M. Devès (géophysique, IPGP), F. Beauducel (géophysique, IPGP), N. Feuillet (tectonique, IPGP), J.-C. Komorowski (géologie, IPGP), J.-B. de Chabalier (tectonique, IPGP), Marta Severo (communication, Paris Diderot), Marion Le Texier (géographie, Paris Diderot), Tommaso Venturini (sciences de l’information, Sciences Po), François Gemenne (sciences politiques, Sciences Po), O. Borraz (sociologie, Sciences Po), A. Flahault (santé publique, Paris Descartes), S. Schütte (santé publique, Paris Descartes), A. Depoux (Centre Virchow Villermé), C. Kowalski (Centre Virchow Villermé).
Objectifs
Cette épreuve propose une réflexion commune sur l’expertise, la médiatisation et la gestion des catastrophes. Son objectif général est d’améliorer la gestion des crises liées aux risques naturels en élucidant les difficultés croissantes de positionnement de l’expertise scientifique dans le dialogue entre pouvoirs publics et acteurs de la société civile. Comment comprendre que les savoirs et données produits par les scientifiques, à l’exemple des scenarii élaborés par les sciences de la Terre en matière de risques telluriques ne soient généralement pris en considération que dans des contextes de gestion de crise et/ou post crise et non en amont ? Comment mettre en oeuvre les conditions d’une large circulation de ces savoirs ? Cette analyse combinera à la fois des réflexions théoriques (sociologie des organisations, épistémologie et méthodologie de l’expertise, sciences de la décision) et des études empiriques de crises de l’expertise lors de catastrophes singulières (crises volcanologiques de la Soufrière de Guadeloupe en 1976 et de Montserrat de 1995 à 2014, catastrophes de Tchernobyl en 1986 et de Fukushima en 2011). Elle débouchera sur des préconisations pour remédier aux erreurs avérées de gestion des crises, qui cristallisent les difficultés et des enjeux de la prise de décision en contexte d’incertitude, ainsi qu’une offre de formation en direction des scientifiques, experts et des cadres administratifs.
Un second enjeu consisterait à examiner si les règles générales qui régissent traditionnellement la médiatisation des catastrophes (lois de Galtung) sont en cours de transformation depuis l’avènement d’internet et la montée en puissance des enjeux écologiques. Cette hypothèse appelle une réflexion sur les instruments de mesure des catastrophes et la frontière – plus poreuse qu’il n’y paraît – séparant les mesures « objectives » et « subjectives ». Les tremblements de terre offrent de ce point de vue un terrain idéal de comparaison et d’appariement de mesures issues de capteurs physiques (sismographes), capteurs économiques et sociaux (nombres de morts, ampleur des dégâts) et capteurs médiatiques (nombres de tweets, de flux RSS). Nous proposons d’utiliser les tremblements de terre comme instrument d’étalonnage de capteurs médiatiques qui pourraient ensuite être appliqués à d’autres types de catastrophes présentes (migrants climatiques, victimes de famine ou de sécheresse, crises sanitaires, etc.)