Le zonage des risques, ou la cartographie des risques, est un élément fondamental des stratégies de prévention des catastrophes et de gestion post-catastrophe. Seuls les risques identifiés, quantifiés et évalués par des experts deviendront « réels ». Les risques non identifiés ou non reconnus n’apparaissent pas sur la carte et deviennent donc invisibles aux yeux des administrateurs et du public : « tant que les risques ne sont pas reconnus scientifiquement, ils n’existent pas – du moins pas sur le plan juridique, médical, technologique ou social, et ne sont donc pas prévenus, traités ou compensés ». Beck (2008).
La zone critique est la fine pellicule recouvrant la surface de la Terre, s’étendant des nappes phréatiques au sommet de la canopée, et dans laquelle interagissent l’air, l’eau, les sols, les roches et les organismes vivants. La zone critique, en tant que support de ressources hydriques, agricoles et minérales, ainsi que des services écosystémiques, est la base de l’habitabilité de notre planète. Les activités humaines soumettent aujourd’hui la zone critique à des pressions jusque-là jamais atteintes depuis l’apparition de la civilisation : changement climatique, déforestation, érosion des sols, pollution des nappes phréatiques… Il est donc urgent de mieux comprendre le fonctionnement de la zone critique, afin de prédire notamment quel sera l’impact des changements globaux présents et à venir sur ce fonctionnement, ainsi que pour proposer des solutions d’adaptation à ces changements.
Une grande partie de la recherche se déroulant à l’Institut de Physique du Globe de Paris vise à améliorer notre connaissance de ce composant primordial (puisque directement lié à notre vie de tous les jours) du système Terre. Ces domaine de recherche incluent l’étude de la formation des sols, la quantification des taux d’érosion “naturels” et anthropiques, ou encore la détection de la pollution aux métaux lourds ou aux nano-particules dans les eaux. Des réflexions jointes entre l’IPGP et Sciences Po ont aussi lieu afin de proposer des représentations adéquates de la zone critique, qui comprennent à la fois les enjeux globaux et territoriaux auxquels sont confrontés scientifiques, acteurs politiques et citoyens aujourd’hui.
Objectif
Ce projet tente de déconstruire la quantification des risques telle qu’elle est opérée via les activités de zonage / cartographie, en examinant un processus de transformation des dangers aux risques : ce qui est incertain, sans limites géographiques assurées, ou intangible est alors circonscrit spatialement et temporellement. Cette territorialisation des risques permet d’asseoir le développement de réglementations et de gestion des risques par l’Etat et les collectivités locales.
Nous utilisons deux études de cas, une sur les zones d’évacuation après la catastrophe nucléaire de Fukushima et l’autre sur la cartographie des risques avant les éruptions des volcans dans les Petites Antilles, pour illustrer cette articulation entre productions de savoirs scientifiques, pratiques d’expertise et politiques publiques.
L’exercice comparatif permet de montrer des points communs entre les deux domaines : la quantification et la “visualisation” des risques par le zonage/cartographie, présentées comme un exercice scientifique objectif, sont également un exercice politique consistant à faire des compromis et des choix en tenant compte du contexte historique, des intérêts économiques et culturels, de l’importance des aspects symboliques et de l’intégrité territoriale. Il permet également d’identifier des enjeux spécifiques pour le nucléaire.
Le zonage crée différentes catégories de citoyens, qui seront dotées de statuts et de droits différents alors même qu’ils vivent des situations de danger similaires. Ceci est particulièrement frappant lorsqu’on examine les compensations financières accordées aux victimes de l’accident nucléaire. Ces politiques participent à la fragmentation sociale typique de l’après désastre. Ensuite, le zonage comme outil d’administration participe à la normalisation de la catastrophe nucléaire, en réifiant les dangers, et en présentant le risque d’accident nucléaire comme un risque “gérable” et contrôlable par les autorités.
Equipe
Le projet est mis en œuvre par une équipe interdisciplinaire composée d’un sociologue (Christine Fassert, IRSN), d’une politologue (Reiko Hasegawa, Sciences Po), d’une géophysicienne et psychanalyste (Maud Devès, IPGP/Univ. Paris Diderot) et d’un volcanologue (Edouard Kaminski, IPGP). L’étude s’appuie sur une revue de la littérature dans les différentes disciplines impliquées et des entretiens sur le terrain menés à la fois au Japon et dans les Petites Antilles Françaises.