« Cette volte-face sur le climat fournit à l’Europe une occasion inespérée de relancer son projet politique, en panne depuis plusieurs années » (Photo: Trump est applaudi lors de son annonce du retrait des Etat-Unis de l’Accord de Paris, le 1er juin à Washington BRENDAN SMIALOWSKI/AFP)
La décision était attendue depuis l’élection de Donald J. Trump, mais elle crée néanmoins une onde de choc, et un bouleversement majeur des relations internationales. Le retrait américain de l’Accord de Paris a un air de déjà-vu : en 2001 déjà, pour des motifs similaires, le président George W. Bush avait annoncé le retrait américain du Protocole de Kyoto, expliquant que le mode de vie américain n’était ‘pas négociable’.
Chacun perçoit aujourd’hui l’enjeu que cette décision et le signal politique brutal qu’elle envoie représentent pour le futur de l’humanité. Le président Macron, réagissant à l’annonce de la Maison Blanche, a eu des mots très justes, soulignant que le changement climatique était ‘le grand défi de notre temps’. On débattra beaucoup, dans les jours à venir, des conséquences et des modalités de ce retrait. Mais une chose est certaine : l’Union européenne est désormais au pied du mur, et doit s’affirmer, dans un partenariat avec la Chine, comme la force motrice de l’action internationale contre le dérèglement climatique. C’est sa responsabilité morale : sans exagérer, on peut dire que le sort de l’humanité dépend désormais aujourd’hui du volontarisme européen.
Mais cette volte-face sur le climat fournit aussi à l’Europe une occasion inespérée de relancer son projet politique, en panne depuis plusieurs années. Alors que les questions environnementales ont été si souvent négligées par les chancelleries, si souvent reléguées au rang d’enjeux techniques et secondaires, elles peuvent désormais devenir le socle d’une relance politique du projet européen. Les dirigeants français, allemand et italien l’ont bien compris, en publiant un communiqué commun – auquel la Grande-Bretagne n’a pas voulu s’associer – au soir de l’annonce faite à Washington.
Il faut pour cela que l’Europe s’en donne les moyens, et fasse de la lutte contre le dérèglement climatique un projet politique aspirationnel, plutôt qu’une contrainte consentie. L’environnement n’est pas extérieur à l’humanité: il s’agit bien sûr de ‘make the planet great again’, mais aussi de la garder simplement habitable pour ses occupants, et en premier lieu les populations les plus exposées aux impacts des bouleversements climatiques. Il s’agit aussi d’une question de justice, de développement, de santé, de sécurité, de migrations, d’alimentation, et même de survie pour certains. Au-delà des humains, on ne peut pas non plus se résoudre au sort réservé à la multitude des autres espèces animales et végétales qui assurent notre subsistance matérielle. La lutte contre le dérèglement climatique et les risques environnementaux doit devenir la matrice centrale de nos choix collectifs, parce que celui-ci affecte tous les grands défis du 21ème siècle.
Si elle le veut, la France peut devenir un pilier central de ce projet. Cela implique que le ministre de l’Environnement devienne un véritable vice-Premier ministre, qui pèse sur les grands arbitrages. Cela implique que les choix politiques soient considérés, avant tout, à l’aune de leur impact sur l’environnement.
La recherche doit aussi se mettre en ordre de bataille. Le président Macron a exhorté depuis l’Elysée, en français puis anglais, tous les scientifiques américains déçus par la décision de leur président à venir travailler en France à des solutions concrètes pour le climat, et à considérer la France comme leur deuxième patrie. C’est aussi notre vœu et nous les soutiendrons, notamment dans leur combat pour porter le changement outre-Atlantique. Mais cela implique de nous donner les moyens de nos ambitions, et c’est bien aussi une question de moyens : quels postes seront créés, à quelles conditions par rapport à celles qu’on leur propose de quitter ? Au-delà des moyens, il importe aussi que le climat, et plus largement les questions d’environnement, sortent des départements d’écologie, de géoscience ou de physique pour envahir les départements d’économie, de droit, de philosophie, de communication, de médecine, de relations internationales. Réciproquement, il faut que la recherche en climatologie, en écologie, en géologie et autres, s’ouvre plus largement aux travaux des sciences humaines et sociales, pour mieux saisir et se saisir de la dimension politique des questions environnementales. Enfin, il faut imaginer une recherche qui, tout en gardant une distance critique nécessaire, se décide néanmoins à travailler plus directement au contact des acteurs qui portent la transition écologique.
Comment fixer un prix au carbone si l’on ne comprend pas le cycle planétaire de cet élément chimique ? Comment développer de nouveaux modèles agricoles si l’on ne prend pas en compte l’impact dévastateur des variations de température ou de précipitations sur les récoltes ? Comment penser des politiques urbaines sans considérer le rôle des villes dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre ? Comment appréhender les grands enjeux de santé publique si l’on ne prend pas en compte les nouvelles pandémies provoquées par le changement climatique ? Comment organiser les migrations sans prendre en compte le fait que des millions de personnes sont déjà déplacées à cause de catastrophes naturelles, ou d’environnements devenus simplement inhabitables ? Comment gérer des frontières alors que certaines seront effacées par la hausse du niveau des mers et la fonte des glaciers ? Comment assurer la sécurité sans prendre en compte les conflits générés par la raréfaction des sols cultivables, de l’eau et d’autres ressources ? Comment protéger les pollinisateurs sans comprendre les pratiques qui les menacent malgré leur rôle essentiel pour l’économie ?
Pour toutes ces raisons, il importe de décloisonner les disciplines, de faire sortir l’environnement du silo dans lequel on l’a trop souvent enfermé. Il importe d’inventer ensemble de nouvelles politiques de la Terre, et de les intégrer dans la manière dont nous pensons et construisons nos démocraties. Ce n’est pas seulement une question de politique scientifique. Depuis jeudi soir, c’est aussi une question de responsabilité morale.
Les chercheur.es du projet interdisciplinaire ‘Politiques de la Terre à l’épreuve de l’Anthropocène’ de l’Université Sorbonne Paris Cité.
Diégo Antolinos-Basso, linguiste-informaticien, Sciences Po
Nathalie Blanc, géographe, Université Paris Diderot.
Julien Caudeville, statisticien, INERIS
Jean Chiche, statisticien et politologue, Sciences Po
Marine Denis, juriste, Sciences Po
Kari De Pryck, politologue, Sciences Po
Isabelle Dajoz, écologue, Université Paris Diderot
Anneliese Depoux, sémiologue, Centre Virchow-Villermé de santé publique Paris-Berlin
Maud Devès, physicienne et psychologue, Université Paris Diderot
Nicolas Douay, urbaniste, Université Paris Diderot
Antoine Flahault, médecin, Université de Genève et Centre Virchow-Villermé
Jérôme Gaillardet, physicien, Institut de Physique du Globe
François Gemenne, politologue, Sciences Po
Reiko Hasegawa, politologue, Sciences Po
François Houllier, écologue, Président de l’Université Sorbonne Paris Cité (USPC)
Edouard Kaminski, volcanologue, Institut de Physique du Globe
Jean-Christophe Komorowski, géologue volcanologue, Institut de Physique du Globe
Bruno Latour, sociologue et philosophe, Sciences Po
Bénédicte Menez, géochimiste, Institut de Physique du Globe
Flaminia Paddeu, géographe, Université Paris Diderot
Aleksandar Rankovic, écologue et politologue, Iddri
Thomas Ribémont, politologue, Université Paris 13
Marc Robert, chimiste, Université Paris Diderot Stefanie Schütte, épidémiologiste, Centre Virchow-Villermé de santé publique Paris-Berlin
Sébastien Treyer, agronome et économiste, Iddri
Tommaso Venturini, sociologue, Sciences Po
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