Le dioxyde de carbone (CO2) est l’un des traceurs essentiels de l’Anthropocène, aussi bien dans sa dimension industrielle courte que dans sa dimension d’histoire de la vie. Le CO2 est devenu la molécule repère des différents noeuds et controverses de l’Anthropocène, puisqu’elle permet de visiter aussi bien la géohistoire (sur des durées à la fois longues – géologiques – mais aussi courtes – historiques) qu’une large partie de la vie industrielle actuelle et en projet.
Cette épreuve cherche à dresser une cartographie des CO2, non pas au sens d’un « cycle du CO2 » comme on peut en trouver dans les manuels, mais d’une carte géopolitique du CO2 qui comprendrait l’état des forces en présence (les scientifiques de telle ou telle discipline et leur coopération ou absence de coopération) et surtout les identités différentes du CO2, pour des buts et des avenirs différents. Ces cartes permettraient de marquer aussi les nombreuses terres inconnues de la connaissance. Il s’agit donc de refragmenter un cycle du CO2 qui serait trop vite unifié par une version simplement pédagogique du « cycle du CO2 ». Au lieu de considérer le CO2 comme une boîte noire et de suivre ensuite comment il s’est politisé en aval de la science, l’idée est, au contraire, de repérer toutes les identités multiples des CO2, pour rouvrir les possibles. L’épreuve vise à désenchasser la diversité des CO2 dans un dialogue qui ne se réduise pas à la mise en oeuvre d’un horizon technique trop fermé ; il faut au contraire faire comprendre que, dans l’histoire de l’Anthropocène, il n’y a pas de futur écrit, ce qui permet de donner une nouvelle liberté de manoeuvre à la politique scientifique et industrielle.
Équipe :
Marc Robert (électrochimie, Paris Diderot – co-pilote), Avner Bar-Hen (statistique, Paris Descartes – copilote),
Daniel Boy (sciences politiques, Sciences Po), Bruno Latour (sociologie, Sciences Po),
Tommaso Venturini (sciences de l’information, Sciences Po), Sébastien Treyer (gestion de l’environnement, Iddri),
Bénédicte Ménez (géobiologie, IPGP), Aleksandar Rankovic (écologie, Iddri).
Objectifs
Bien que le CO2 soit devenu le marqueur aussi bien de la politique que de l’économie planétaire au point d’être désormais le pivot des débats autour de l’Anthropocène, cela ne veut pas dire qu’on serait simplement passé des sciences naturelles aux sciences politiques. En effet les chimistes, biologistes, géologues, pédologues, physiciens, climatologues, ont tous des définitions distinctes du CO2, définitions qui diffèrent de celles des économistes, des géopoliticiens et des ONG, définitions qui, à leur tour, diffèrent massivement des représentations que le public peut en avoir. Si l’on voulait dessiner un « cycle du carbone », ou un « cycle du CO2 » il faudrait gommer toutes ces différences pour obtenir une version moyenne et en fait profondément inexacte de la situation réelle. L’objectif de cette épreuve n’est pas d’intégrer toutes ces définitions dans une vision globale, mais de pouvoir au moins comparer les versions dissemblables : en effet chaque définition dessine à chaque fois une certaine représentation de la planète, distribue des responsabilités sur l’origine de la situation actuelle et propose une certaine vue de ce qu’il faudrait faire dans l’avenir. Chaque version correspond donc à un format du type : « si le CO2 a telle et telle propriété, alors telle et telle entité est responsable et il faudrait définir telle ou telle action dans l’avenir ».
Méthode
Il n’existe pas, aujourd’hui, d’institution (ni en politique scientifique ni en politique proprement dite) pour aider à mailler ces fragments et à dresser la carte géopolitique des CO2. À cette fin, plusieurs situations de la molécule seront cartographiées :
• sa présence dans les travaux scientifiques de diverses disciplines (scientométrie),
• son influence dans les négociations internationales sur le climat,
• mais également sa perception dans l’opinion, grâce à une réinterprétation de sondages menés annuellement pour le compte de l’ADEME.
Pour rendre les versions comparables nous proposons de désagréger le « cycle du CO2 » en autant d’agrégats que nécessaires. Pour obtenir un référentiel commun, il nous faut reconstituer les agrégats à partir d’un vocabulaire minimal commun en posant à des données d’origine distinctes les questions suivantes en faisant réagir les spécialistes aux premiers fonds de cartes tirés à partir des bases de données existantes.
Ces questions sont organisées selon les sections suivantes :
• quelles disciplines ? (paradigmes)
• quelle distribution de responsabilité ? (histoire)
• quels futurs possibles ? (politique scientifique et industrielle et politique tout court).
Au cours de la recherche, nous simulerons avec de plus en plus de réalisme, la discussion de politique scientifique qui devrait permettre de comparer des définitions des CO2 avec des projets de politique scientifique et industrielle grâce à cet équipement cartographique minimal (la COP21 permettra évidemment d’accélérer et de médiatiser considérablement ces itérations).
Présentations de la Journée d’étude Co2 – 08/04/14 :
♦ Introduction de la journée par Marc Robert (Université Paris Diderot)
♦ Pierre Agrinier (IPGP) : La séquestration géologique du CO2 : des problèmes variés
♦ Daniel Boy (CEVIPOF – Sciences Po) : Représentations sociales du CO2
♦ Henri Waisman et Sébastien Treyer (IDDRI – Sciences Po) : Trajectoires nationales de décarbonation : débats politiques et agrégations entre gaz et secteurs nationaux
♦ Aleksandar Rankovic (IDDRI-Sciences Po & IEES-Paris) : Carbone, nutriments et relations sols-plantes à l’anthropocène
Crédit : Article du Monde : “Le taux de CO2 dans l’air au plus haut depuis plus de 2,5 millions d’années”,